Traduction de GABRIEL DES HONS, 1932 - 2e éd. - Paris : Librairie Ernest Leroux, 1936
"Toute l'économie du monde repose sur des bases divines, et les choses de la matière sont en étroite relation avec les choses de l'esprit et du coeur."
('Abdu'l-Bahá.)10. CIVILISATION MATÉRIELLE ET CIVILISATION SPIRITUELLE
11. LE TRIBUNAL SUPREMEDans tous les pays, depuis la guerre européenne, les êtres éveillés au sentiment de leur responsabilité d'hommes en viennent à prendre conscience d'un devoir nouveau qui leur incombe, à savoir de s'inquiéter du problème que soulèvent la dépression économique mondiale et le désarroi qui en résulte. D'où, chez les esprits constructeurs, une tendance, qui ne fut jamais jusque-là si fortement marquée, à délaisser le domaine des affaires privées pour étudier les fondements mêmes de la structure sociale.
Le moment semble donc favorable à une diffusion plus large de la connaissance de ce fait que, voilà plus de cinquante ans, le plan fut établi d'un nouvel ordre mondial de choses, qui non seulement anticipait sur beaucoup d'idées actuellement en faveur, mais qui encore se fondait sur l'analyse même de la maladie dont souffre aujourd'hui le monde.
En fait, à qui étudie sérieusement les conditions actuelles de l'humanité, - que ce soit du point de vue de l'économiste, ou de celui du politique ou du sociologue, - il importe de savoir que, depuis deux générations, tout un corps de doctrine existe, où sont exposés des principes et donnés des enseignements qui apportent aux difficultés de l'heure présente une solution adéquate.
Le plan d'économie internationale conçu par Bahá'u'lláh passe de beaucoup, en son objet et dans sa portée effective, les réponses, si longtemps différées, que, sous la pression des circonstances,
économistes et hommes d'Etat essayent maintenant d'apporter à la question que pose l'imminence d'une catastrophe mondiale. Les principes de ce plan sont établis sur les lois organiques qui président à l'évolution du genre humain. Ce qui, pour Bahá'u'lláh, constitue le problème moderne n'est pas une crise économique issue d'une " révolution industrielle, c'est un mouvement profond de l'humanité elle-même. Et ce Prophète montre le lien qui, nécessairement, unit les affaires spirituelles du genre humain à ses affaires pratiques, et qui, seul, est capable d'insuffler la vie à n'importe quel organisme social.
Une étude attentive du plan dont il s'agit montre que son auteur envisage ce tournant de l'évolution humaine où - tant dans les domaines du langage et des coutumes, des codes religieux et civils, que dans le domaine économique - la vieille tendance à la diversité prend fin, pour se renverser dans le sens d'une tendance à l'unité. Selon Bahá'u'lláh, le grand mobile humain qui, dans l'ère qui se ferme, était nécessairement l'intérêt personnel, devient dans l'ère nouvelle - et non moins nécessairement - la coopération.
De ce point de vue, la Guerre Européenne et la série ininterrompue de troubles internationaux qui l'ont suivie apparaissent clairement comme de vivantes preuves que l'humanité a, par pure inertie, persévéré dans le vieil esprit de compétition, alors que de nouvelles conditions se sont produites, qui rendent la coopération et l'unité indispensables à son existence même. Ce n'est pas à un déséquilibre momentané que nous devons faire face, c'est la structure tout entière de la civilisation que nous avons l'impérieuse nécessité de changer. Les institutions et les organismes sociaux auxquels un âge de diversité et de compétition a donné naissance ne répondent plus aux besoins d'un âge de coopération et de paix. La crise actuelle met de plus en plus en évidence le fait tragique que nous demandons les dons divins de la paix et de la vie à des organismes qui ont précisément pour objet les fins contraires de la guerre et de la destruction.
Les conditions nouvelles que rencontrent aujourd'hui toutes les branches de l'activité humaine sont le résultat de l'unité physique à laquelle le monde se trouve ramené du fait des progrès accomplis, au cours du dernier siècle, dans la technique industrielle. Le champ des affaires humaines s'est, en effet, unifié. Il n'est plus divisé en une série de territoires sans aucune relation entre eux. Pour la première fois dans l'histoire, la loi de cause et d'effet agit aussi positivement à l'égard de la société des êtres qu'à l'égard du monde matériel. Et le résultat est que tout acte public a sa répercussion immédiate sur le genre humain tout entier. Les mouvements nationaux, ou de race, ou de classe ne sont plus des mouvements isolés et sans conséquence pour les classes, les nations et les races qui n'y ont pas eu de part directe. Ils ne peuvent plus être désormais déclenchés en vue d'atteindre un objectif déterminé et limité, comme, par exemple on lançait au moyen âge une petite armée compacte au milieu de paysans désarmés. La structure entière de la société en est aujourd'hui affectée, et les résultats qu'ils produisent revêtent un caractère de généralité.
Or, en vertu de cette même loi nouvelle, de cause et d'effet. qui relie dans une destinée commune des races jusque-là isolées géographiquement les unes des autres, tout acte économique ou politique accompli à l'intérieur d'une nation ne saurait plus limiter ses effets au domaine propre à cet acte : il réagit sur la nation tout entière et se fait sentir dans tous les champs d'activité de celle-ci.
Ainsi, non seulement l'humanité est devenue une unité organique du fait du lien géographique qui relie tous ses membres, mais encore, - en vertu des relations nouvelles qui unissent des domaines en apparence aussi dépourvus de lien que les affaires et la religion, le gouvernement des hommes et la philosophie, - toutes les parties de la structure sociale sont étroitement dépendantes les unes des autres. La signification de ce fait vital est que la politique n'est plus seulement la poli tique et que l'économique n'est plus exclusivement l'économique une et l'autre ne sont plus désormais que des aspects divers de la substance, une et indivisible, de la vie humaine.
Nous sommes, en d'autres termes, arrivés à une phase de l'évolution où la valeur morale - c'est-à-dire ce qui sert l'humanité et non point seulement les intérêts particuliers de tel ou tel groupe d'hommes - est devenue une condition absolue, non seulement de la désirabilité de toute politique, mais encore des possibilités de sa réalisation.
Voilà pourquoi tout effort reste vain, qui tend à résoudre la crise mondiale par le moyen des organismes sociaux actuels Devant l'imminence d'une autre conflagration générale, nous parlons de crise politique et nous mettons en oeuvre pour la conjurer des moyens politiques. Accablés d'une profonde dépression économique, nous parlons de crise économique et nous prenons pour y remédier des mesures d'ordre économique. Mais il serait tout aussi logique de parler de crise religieuse et de fonder sur les églises l'espoir de la résoudre. La crise est, en réalité, tout ensemble, politique, économique et religieuse, mais l'humanité ne possède aucun organisme responsable - et investi d'autorité - pour coordonner tous les facteurs qui constituent cette crise et arriver à un plan mondial qui tienne compte de tous ces facteurs.
Ces considérations montrent l'importance vitale d'un nouveau principe d'action, d'une attitude nouvelle et d'une qualité de compréhension tels qu'on les trouve dans l'enseignement de Bahá'u'lláh. Là, en effet, se rencontre une vue du monde qui s'élève au-dessus des intérêts de paroisse et de parti, et un esprit de foi s'y affirme, d'une telle profondeur, qu'il entretient Ces considérations montrent l'importance vitale d'un nouveau principe d'action, d'une attitude nouvelle et d'une qualité de compréhension tels qu'on les trouve dans l'enseignement de Bahá'u'lláh. Là, en effet, se rencontre une vue du monde qui s'élève au-dessus des intérêts de paroisse et de parti, et un esprit de foi s'y affirme, d'une telle profondeur, qu'il entretient la certitude que l'humanité sera guidée par la divine Providence à travers la plus terrible tempête de discordes et de dissensions que le monde ait jamais subie.
En opposition avec les plans d'organisation sociale qui essayent d'appliquer à la masse du peuple un système abstrait d'économie politique, sans avoir aucun égard à l'infinie complexité de la nature humaine, la doctrine de Bahá'u'lláh, elle, procède de l'interne à l'externe, du spirituel au matériel, du coeur de l'humanité à sa structure sociale. Elle se fonde sur les données positives de la nature spirituelle de l'homme et pro- pose un idéal de civilisation que réaliseront par degrés ceux qui le comprennent, y voient la vérité, et luttent pour son triomphe comme pour l'accomplissement de leurs aspirations les plus hautes.
Bahá'u'lláh veut établir entre les hommes l'unité intérieure, l'unité des esprits et des âmes, afin que leur unité extérieure, déjà en voie de réalisation, puisse être pour eux, au lieu d'une malédiction, une bénédiction véritable, un moyen d'harmonie et de coopération, au lieu d'une cause de chaos et de dissensions. Par la vertu du levain de la connaissance spirituelle, les préjugés qui, maintenant, divisent les coeurs et troublent les esprits se transmueront en une union loyale et positive, où la saine éthique et l'expérience mystique véritable se confondront avec l'ordre social lui-même.
Pour obtenir l'abondance matérielle, le loisir et la sécurité pour accroître le domaine de la connaissance et les conquêtes de la science, pour établir un milieu social qui permette aux hommes de goûter les bienfaits de l'union créatrice, il n'est d'autres moyens que l'unité et la coopération. De même que l'unité qu'il réalise dans son être fait la force de l'individu, dé même l'union entre les individus réveillera dans la race des hommes les capacités qui y sont en sommeil.
Bahá'u'lláh montre la possibilité d'une telle union et le pouvoir qu'elle a de transformer la société, de résoudre en une structure organique embrassant le monde, l'antagonisme actuel des groupes qui le composent. Sa doctrine relie et coordonne les diverses manifestations de l'activité sociale, - tous ces organismes qui maintenant fonctionnent séparément, sans méthode et sans but commun : éducation, religion, industrie, commerce, finance, politique.
Mais avant d'entrer dans le détail de cette doctrine, il convient d'examiner l'attitude qui constitue le principal obstacle au bien-être de l'humanité, l'opinion, notamment, si fâcheusement répandue, que quelques changements superficiels apportés à l'organisation économique et politique suffiront à surmonter les difficultés de l'heure présente
2. LE DESARROI DU MONDE MODERNELuttes et dissensions ont de tout temps troublé la société humaine, mais depuis l'explosion militaire de 1914, le principe belliciste s'est singulièrement renforcé. La cessation des hostilités n'a en aucune façon marqué la fin de la guerre. La lutte s'est arrêtée par suite de l'épuisement des ressources nécessaires pour la poursuivre, mais du champ de bataille, la flamme destructrice s'est communiquée au champ plus vaste des affaires.
En passant dans le domaine économique, le principe de la guerre a échappé au contrôle dont la société investit ses dirigeants et grâce auquel, à travers l'histoire, les gouvernements avaient jusqu'ici réussi à maintenir dans les limites de l'objectif déterminé qu'elles visaient le champ et la durée des violences militaires. Le bellicisme, aujourd'hui, gagne la société t out entière, toutes les activités civiles. Il ne soulève pas seulement nation contre nation, mais aussi classe contre classe, intérêts contre intérêts. Or, il n'est pas, dans un si vaste champ, de gouvernement ni d'institution sociale capable de maîtriser les flammes. Aussi la civilisation n'est-elle plus qu'une crise perpétuelle, un état de guerre civile sans fin, cependant que, sous la pression de la crainte qu'inspire l'imminence de intérieure et de l'agression extérieure, les peuples accumulent la révolution des armements capables d'anéantir l'humanité tout entière.
Tant que la guerre peut être considérée comme une chose anormale, comme une crise temporaire restant sous le contrôle des gouvernements responsables et pouvant être, à volonté, terminée par la victoire ou la reddition d'une des parties, ses opérations n'interrompent point les habitudes sociales établies ni n'affectent les idées fondamentales sur quoi reposent les sociétés. Un peuple, durant la guerre, abandonne momentanément sa routine civile, sa morale traditionnelle, ses dogmes religieux, tout comme une famille abandonne une maison que ravage la tempête, mais pour y rentrer une fois l'orage apaisé, et réparer tous les dommages causés par celui-ci. Mais quand, du champ limité que contrôle l'Etat, le principe de la guerre passe dans le champ illimité de l'activité sociale, le patrimoine moral du pays et son idéalisme constructeur se trouvent bientôt fortement entamés. La pression continue, implacable, qu'exerce une société divisée contre elle-même et réduite au mobile élémentaire de la lutte pour la vie, affecte la nature et la forme du gouvernement et de toutes les institutions responsables. Les aspirations et les moeurs de la masse du peuple s'en ressentent à leur tour. La faillite des philosophies sociales issues des vieux enseignements religieux ouvre la porte aux philosophies et aux doctrines matérialistes. Les tenants de celles-ci cherchent à mettre la main sur l'Etat et sur ses organismes complexes de législation, de finance et d'instruction publique, altérant ainsi foncièrement les rapports traditionnels qui les reliaient. L'industrie se trouve dans l'alternative ou d'entrer dans la lutte politique, au risque de diviser les intérêts communs du travail, du capital et de la consommation ou de se confiner dans son propre domaine, au risque de trouver les marchés internationaux fermés par la politique nationaliste de l'étranger et le marché intérieur troublé par l'application des doctrines socialistes. Tandis qu'à la faveur du mécontentement de la masse, les philosophies matérialistes se répandent parmi le peuple, les églises, tout comme l'industrie, pour sauvegarder leurs intérêts spéciaux, s'efforcent, elles aussi, de s'emparer de la législation et de l'instruction publique. En sorte que, tiraillé par cette lutte d'intérêts opposés, le gouvernement se trouve hors d'état de pratiquer une politique générale de quelque ampleur. A peine peut-il, occasionnellement et timidement, s'élever au-dessus de ces mesquines divisions pour considérer ses vrais rapports avec la situation mondiale.
L'individu, cependant, souffre de plus en plus de cette compétition générale. Il se sent isolé au milieu d'une jungle sociale qui menace à beaucoup d'égards son bien-être. Bon vouloir et intégrité, ne produisant plus dans sa vie et dans son travail leurs résultats habituels, tendent à perdre pour lui leur signification. Il sent qu'aujourd'hui, entre son idéal d'honnêteté et tout ce qui concerne sa nourriture et son logement, il ne subsiste plus de lien. Il trouve le matérialisme dans son église et dans son parti politique l'idéalisme. Par-dessus tout, il constate l'embarras de ses dirigeants et s'aperçoit qu'entre les forces antagonistes, la balance est telle, qu'aucun groupe social ne peut, par influence politique, s'imposer à l'ensemble de la population. Le désarroi du monde moderne a donc sur la masse du peuple un effet antisocial, soit qu'il crée parmi elle l'indifférence ou la peur, soit qu'il la pousse à pratiquer, en désespoir de cause, l'action directe.
La boucherie de la guerre à laquelle ont succédé la dépréciation des monnaies, les révolutions, le chômage et les malversations publiques, puis l'essor qu'ont pris les doctrines matérialistes érigées en institutions véritables, sans compter l'insuffisance de l'éducation donnée par l'Etat et les institutions sectaires, et l'aveuglement des pouvoirs publics dans tous les domaines de l'activité sociale, tous ces coups, qui se combinent, portés successivement à la malheureuse humanité depuis 1914 n'ont pas été pris en considération suffisante par les promoteurs de plans qui promettent une amélioration générale. L'ultime triomphe du bellicisme a été de réduire au plus élémentaire instinct de conservation les capacités si richement diverses des individus. La société n'est plus soumise à aucun contrôle. C'est un vaisseau sans gouvernail, un avion sans pilote. Personne ne peut plus rien prévoir, et il n'est point d'autorité capable de faire face aux crises qui se produisent constamment.
Un diagnostic adéquat, sur lequel se puisse fonder un plan solide d'amélioration sociale, ne saurait négliger ces trois faits essentiels :
Premièrement, par leur incapacité d'établir une paix réelle et en accumulant des instruments de guerre, essentiellement destructeurs, loin de protéger les biens et les vies, les gouvernements sont devenus pour l'humanité les principales sources de péril. - Deuxièmement, avec la concentration des moyens de production et de distribution des richesses, à laquelle ne correspond pas une politique sociale appropriée, l'industrie et le commerce ne nourrissent plus le peuple, ni ne le vêtent, ni ne le logent, mais ils ont au contraire, tant en profondeur qu'en surface, énormément accru la pauvreté. - Troisièmement, par la diversité et l'opposition de leurs croyances et par la dépendance où elles sont à l'égard des autorités civiles pour faire donner force de loi aux principes de morale, les religions établies, au lieu d'intensifier en l'homme la vie intérieure qui unit les êtres dans un esprit d'entraide et de coopération, empoisonnent les sources mêmes de cette vie, et soufflent sur le monde cet esprit de discorde et de compétition qui produit le nationalisme dans l'Etat et la fureur d'accroissement personnel chez les individus.
Graduellement, par d'imperceptibles déformations, les instruments constructeurs de la civilisation ont acquis des tendances destructrices. L'état de " paix " ou soi-disant tel, est celui où dans chaque nation, l'esprit d'antagonisme et de lutte se développe jusqu'à atteindre son plein épanouissement. Et ce n'est qu'en état de "guerre" qu'un pays pratique la solidarité et exerce une volonté collective. Mais ces deux états, logiquement tendent aux mêmes fins bellicistes.
Du point de vue des institutions, le présent âge marque la fin d'une civilisation qui ne sert plus les intérêts de l'humanité. Du point de vue de l'expérience humaine, il marque la faillite complète et définitive, en tant que mobile humain, de cet instinct de conservation que l'homme partage avec l'animal, et duquel procèdent, au reste, les institutions sociales, c'est-à-dire tous ce organismes de compétition que sont l'Etat, l'Industrie et l'Eglise et qu'on appelle la civilisation.
Mais il n'y aurait lieu de s'en affliger que si la société pouvait s'établir sur le principe belliciste. En fait, un âge qui apporte la preuve que la guerre ne laisse plus au vainqueur le fruit de sa victoire, et que le régime de la concurrence ne produit plus la richesse, est un âge béni de Dieu, une ère que baignent et soutiennent des forces providentielles. Et c'est à la profondeur de la crise et à la complexité du problème qu'elle soulève que se doivent mesurer les facultés humaines.
Concevoir que l'antagonisme et la haine - de quelques couleurs, de quelques raffinements qu'on les pare - menacent l'existence même de l'humanité, c'est comprendre que des lois président à la vie humaine, plus hautes que celles qui régissent la vie de la brute, et c'est aussi sentir que la civilisation telle que l'homme l'a faite ne correspond pas à la nature spirituelle de l'être humain, aux talents infiniment variés, aux désirs et aux pensées de l'espèce. Ce n'est qu'en négligeant un aspect essentiel de son être - sa réalité spirituelle latente - que l'homme, sous la pression des crises incessantes, a pu faire prévaloir l'esprit de compétition sur celui de coopération. Mais ces deux esprits, en fait, sont toujours restés en présence, car si la concurrence a créé les gouvernements et les systèmes industriels, c'est aux aspi rations contrariées du principe d'amour que sont dus l'inspiration musicale, et l'art, et la poésie.
L'essor pris par la science dans l'âge moderne a développé beaucoup de pouvoirs restés jusqu'alors latents dans l'être humain. Mais pour importantes que soient les réalisations d'ordre technique dues à la science, la valeur de celle-ci, en dernière analyse, ne réside pas dans les découvertes qu'elle suscite, mais dans le témoignage qu'elle porte de l'existence de ressources plus grandes encore restées à l'état latent dans l'âme et l'esprit de l'homme. Les facultés inventives qui s'exercent dans le domaine de la matière peuvent être employées - et le seront dans le domaine bien autrement important de la réalité spirituelle. La science rétablit l'équilibre entre l'homme et l'être, entre les aspirations de celui-ci et les réalisations de celui-là. Elle donne une mesure nouvelle de la capacité humaine et confirme que la race n'a encore rien perdu de ses puissances évolutives Les effets de la science ont été jusqu'ici, pour le moins, autant d'ordre négatif que d'ordre positif, mais il est une science spirituelle dont l'objet est le problème central du bien-être de l'humanité et qui peut créer les organismes nécessaires au fonctionnement de l'esprit de coopération à travers la société.
Ce qui donne à la crise actuelle son caractère providentiel, c'est le pressant appel qui s'en dégage à la compréhension de l'humanité. Etant mondiale dans tous les sens du mot, elle pèse sur l'Amérique aussi lourdement que sur l'Europe, non moins sur l'Orient que sur l'Occident, sur les gouvernements autant que sur les industries, et sur les religions comme sur les gouvernements. L'humanité tout entière participe à une même expérience douloureuse, supporte une même inéluctable responsabilité, réagit sous un même aiguillon qui tend à stimuler ses puissances en sommeil. Elle doit donc s'éveiller à la compréhension de sa réalité fondamentale, au sentiment de la nécessité de recourir, pour remplir ses fonctions, à des ressources et à de instruments collectifs.
Le désarroi actuel ne peut avoir de signification et de valeur que s'il apparaît d'abord comme un mouvement profond qui travaille l'humanité, et subsidiairement comme un trouble dan les institutions dont l'ensemble constitue la civilisation. L'acuité de la crise économique et politique est telle, qu'on a pris pour la maladie elle-même ce qui n'en est que les symptômes. Le principe fondamental sur lequel repose le nouvel ordre de chose est l'unité de l'humanité, la mutuelle dépendance où la communauté de leur origine et de leurs fins place les races qui la composent. L'organisation sociale qui maintenant fait faillite est fondée, elle, sur le principe du séparatisme et de la diversité, qui a produit une société dont le mobile est l'intérêt personnel.
3. L'ANALOGIE AVEC ROMEPar bonheur, l'histoire de la civilisation nous offre une ère qui se trouve avec la nôtre dans un étroit parallélisme. L'Empire Romain, lui aussi, à un certain point de son histoire, établit une civilisation contraire aux vrais intérêts de l'humanité. Et ses institutions sociales entrèrent, de même, dans une période de transition, quand le régime de compétition se trouva en face de problèmes politiques, économiques et religieux trop complexes pour que les moyens traditionnels en pussent fournir la solution.
Mais la foi chrétienne inspira, pour résoudre ces problèmes, d'autres moyens plus hauts. Les inspirations de cette foi furent, il est vrai, systématiquement ignorées ou blâmées de ceux qu'aveuglaient les doctrines sociales de l'époque, mais il reste que le flot de l'évolution se détourna des institutions officielles pour pousser plus avant son cours à travers le canal d'un mouvement plus conforme aux besoins et aux facultés de l'homme. La restauration de la société fut l'ouvrage d'individus régénérés, formés en un groupe coopératif, et non point l'effet d'une réforme des tarifs, d'un rajustement des salaires ou d'une réorganisation du commerce et de la législation. Les gens de foi constituèrent une société dans laquelle un lien d'amour, semblable à celui qui unit les membres d'une même famille, remplaçait les procédures officielles fondées sur la science économique de l'époque et que sanctionnait la politique d'un Etat en décomposition.
Ce fut le triomphe de l'humanité sur la civilisation. Les premiers chrétiens se plongèrent dans le flot régénérateur de la vérité humaine et y retrouvèrent la vision de Dieu. Armés seulement de foi et de dévotion, ils soutinrent vaillamment les assauts d'une société chancelante et finirent par jeter les bases d'un "âge nouveau". Leur foi dans le Christ libéra les forces mystérieuses de l'esprit et, par la vertu du sacrifice, ils recréèrent la société sur une base morale, conforme à l'esprit coopératif.
Mais, enfermée dans un champ que limitaient les hordes barbares dont elle était entourée, l'expérience chrétienne ne put englober le monde. Son mouvement d'expansion prit fin, et la chrétienté réduite à la défensive admit en son sein l'esprit de violence et de dissension. Ayant ainsi répudié la loi d'amour, le nouveau corps présenta des symptômes de maladie spirituelle. La fissure alla s'agrandissant jusqu'à ce que le protestantisme la rendît définitive, et la civilisation moderne, avec son perpétuel conflit entre l'élément "religieux" et l'élément "séculier", fut le résultat fatal de cet état de choses. Mais rien dans cette décomposition progressive de la société ne peut être allégué contre la vraie signification de la religion. Le christianisme, bel et bien, restaura le pouvoir du coeur.
La "vérité", toutefois, qu'il contient, comme celle qu'en ferment toutes les religions fondées sur l'esprit prophétique, n'est point une constante, mais une variable. La vision du divin, au bout d'un certain temps, s'obscurcit et se trouble. Le printemps de fertilité spirituelle est suivi d'un été, puis d'une moisson automnale, et il finit dans le froid de l'hiver. Le processus historique qui, de la source de régénération intime qu'était le christianisme, a fait une institution de pure forme, ce même processus a opéré pour le judaïsme, l'islamisme, le bouddhisme et les autres religions. Chacune d'elles régénéra un canton de l'humanité, en vivifia la civilisation, créa pour ses habitants de meilleures conditions d'existence, puis sombra peu à peu pour faire place à un autre prophète et à un renouvellement de la foi.
4. UN NOUVEAU CYCLE DU POUVOIR HUMAINBahá'u'lláh, dont 'Abdu'l-Bahá répandit la doctrine en Europe et en Amérique, est venu parfaire le cercle de la religion, en tant qu'expression de la vraie nature de l'homme et des possibilités humaines par rapport à Dieu, à la société et à l'univers physique. Il a joint les arcs de ce cercle qu'avaient décrits avant lui Jésus et les prophètes d'autres races. Son enseignement rétablit entre l'éthique, la science et la sociologie le lien nécessaire pour que le principe d'amour pénètre en sa pleine intégrité la société et la civilisation. Bahá'u'lláh fut le premier à montrer l'humanité comme une unité organique capable de coordonner ses ressources de coeur et d'esprit. "Qu'un homme, proclamait-il voilà plus de cinquante ans, ne se glorifie point d'aimer son pays, mais que plutôt il cherche sa gloire dans l'amour de l'humanité." Prenant à l'égard des institutions immorales de la société moderne la même position de sacrifice que Jésus prit à l'endroit de la civilisation juive et romaine, Bahá'u'lláh créa, lui aussi, dans le peuple un mouvement de foi et de dévotion, qu'accompagna, de même, chez les dirigeants de son époque, un mouvement non moins vif de haine et d'opposition. Son enseignement a pris aujourd'hui les proportions de l'histoire, - d'une histoire écrite en caractères indélébiles avec le sang des martyrs persans. Le mouvement gagna l'Occident en la personne d'Abdu'l-Bahá, qui voyagea à travers l'Europe et l'Amérique, durant les années 1911 et 1912, pour exposer la doctrine de Bahá'u'lláh dans ses rapports avec les problèmes modernes d'ordre politique, économique et social.
En septembre 1911, à la veille de la grande guerre qu'il prévoyait et contre laquelle il mettait ses auditeurs en garde, parlant à Londres dans le Temple de la Cité, il prononça ces paroles significatives : " Un nouveau cycle s'ouvre aux pouvoirs de l'homme. Tous les horizons sont lumineux, et le monde est appelé à devenir un paradisiaque jardin. L'heure a sonné de l'union parmi les hommes, du rassemblement des races et des classes. Vous êtes désormais affranchis des antiques superstitions qui maintenaient les hommes dans l'ignorance et détruisaient les fondements de la véritable humanité.
Le don que Dieu fait à cet âge de lumière est la conscience de l'unité du genre humain et de la fondamentale unité de la religion. La guerre cessera entre nations, et, par la volonté de Dieu, "la plus grande paix" s'établira. Le monde sera entièrement rénové et les hommes vivront en frères.
"L'instinct de guerre fut, aux anciens jours, développé en eux par la lutte qu'ils devaient soutenir contre les bêtes sauvages. Mais cet instinct, aujourd'hui, n'a plus de raison d'être, et c'est, au contraire, à la coopération et à l'entente mutuelle que désormais l'humanité devra son bien-être. L'inimitié et la haine ne subsistent plus qu'en vertu d'un préjugé. Dieu est un, l'humanité est une, la religion n'a qu'une base. Adorons ce Dieu et rendons-lui grâce des messagers et des prophètes par lesquels il a manifesté sa gloire."
Cette façon de concevoir l'agitation qui travaille le monde comme une sorte de rassemblement des ressources de l'humanité, en vue de leur déploiement au cours d' "un nouveau cycle ouvert aux pouvoirs de l'homme", une telle conception émane des profondeurs de la vérité. Elle ramène à une seule les questions complexes que les spécialistes de ces questions sont incapables de résoudre séparément. Elle rend à l'imagination de l'homme, à son intelligence et à sa volonté la direction d'événements en apparence dominés par une ""machine" échappant à tout contrôle.
Mais il faut rapprocher de ces paroles d'Abdu'l-Bahá celles qu'il prononça au Temple Baptiste de Philadelphie, le 3 Juin 1912 : "La vraie religion, disait-il, est la source de l'amour et de l'entente entre les hommes, c'est par elle que se développent toutes les qualités désirables. Mais, attachés à l'imitation et à la contrefaçon, les hommes négligent la réalité qui unifie et se privent ainsi des lumières de la vraie religion. Ils suivent de vieilles superstitions héritées de leurs pères... Ce qui était destiné à donner la vie est devenu une cause de mort. Ce qui attestait la connaissance est maintenant une preuve d'ignorance. Ce qui rendait sublime la nature humaine est devenu un élément de déchéance. Il en est résulté que le domaine de la religion s'est peu à peu étréci et obscurci, tandis que celui du matérialisme s'étendait et progressait. Car la religion s'est attachée à l'imitation et à la contrefaçon, négligeant et rejetant la sainteté et tout ce qui constitue sa réalité sacrée. Les chauves-souris volent quand le soleil se couche. Elles apparaissent alors parce que ce sont des oiseaux de ténèbres."
Là nous avons l'envers du tableau, - l'élément négatif opposé à l'élément positif, l'aveugle soumission à la vérité tout externe des institutions officielles en regard de la foi dans les valeurs spirituelles, la civilisation, enfin, en lutte active contre les véritables intérêts de l'humanité.
Or, entre ces deux pôles, des courants circulent, d'une incommensurable puissance, qui dissolvent toutes les organisations de l'égoïsme et incitent les esprits à concevoir que le salut de la race ne peut être que dans la coopération.
La concentration sur un objet unique des forces morales et de l'intelligence crée un outil propre à accomplir les plus grands travaux. L'objectif qui se propose à la raison et à la conscience est, en ce stade de l'évolution, la paix du monde. Et pour ceux qui y aspirent, l'idéal religieux se confond avec les nécessités économiques et sociales.
Jusqu'à la crise actuelle, la paix du monde était tenue pour un problème d'ordre purement politique, c'était affaire de traités entre les Etats souverains. La crise a montré que cette paix est une question de justice sociale, et non point seulement de cessation des hostilités militaires. Elle a aussi prouvé que, du point de vue de la justice sociale, les Etats ne sont plus souverains, mais qu'ils sont devenus de simples champs de révolution économique et psychologique. Une telle situation fait de la Ligue des Nations, telle qu'elle est constituée, un instrument inadéquat à son objet : le contrôle international lui échappe. C'est tout à fait comme si le gouvernement fédéral de Washington consistait en une délégation de quelque cinquante Etats souverains, laquelle ne posséderait ni armée ni marine, et dont les arrêts, pour devenir effectifs, devraient être ratifiés séparément par les corps législatifs de chacun des cinquante Etats, gardant, eux, des organisations militaires rivales et refusant de céder à Washington sur aucun point de souveraineté locale. Un tel organisme, dans aucun pays, ne saurait être qualifié de gouvernement national, et la Ligue ne peut être davantage considérée comme un gouvernement international. Elle semble représenter tout ce que la vieille civilisation est capable de produire de mieux, mais elle ne constitue pas encore un organisme de l'humanité.
5. OBJECTIFS DE PROGRES SOCIALChaos et révolutions se poursuivront avec une intensité accrue tant que ne sera pas créé un organisme de gouvernement du monde investi à l'égard du genre humain d'une autorité suprême, et auquel les Etats nationaux seront soumis comme des provinces n'exerçant qu'une juridiction locale. Telle est aujourd'hui pour le monde la question capitale, l'inéluctable nécessité qui, du point de vue financier, politique, social et moral, deviendra claire à tous les yeux.
Car le gouvernement mondial ne diffère pas seulement du gouvernement national par la sphère géographique de sa juridiction, mais aussi par l'étendue de sa responsabilité sociale. Lui seul est capable d'effectuer le désarmement, de créer une monnaie saine, de réconcilier les classes, d'établir un système d'éducation conforme aux besoins fondamentaux de l'humanité, et d'écarter le péril qui résulte de l'opposition des théories communiste et capitaliste. Et tant qu'un tel gouvernement ne sera pas établi, le divorce subsistera entre les valeurs d'ordre " religieux " et celles d'ordre " séculier ", pour le plus grand dommage de l'expérience humaine. Ce gouvernement implique une administration sociale par les élus du genre humain, - par des hommes imbus de principes moraux en même temps que doués de talents d'exécution. Car c'est le partisan politicien immoral qui maintient la désunion sociale, afin de se ménager les moyens de pêcher en eau trouble.
Il n'est, dans aucune nation, de stabilité possible pour les communautés locales sans un gouvernement international. Traînée à la remorque de la politique nationale et des intérêts de la grande industrie, la communauté locale est aujourd'hui la grande victime des méfaits de la civilisation.
Avec le chômage qui sévit dans les grandes villes et l'état languissant de l'agriculture qui mine la vie des petites villes et des villages, nous voyons jouer le frein qui peu à peu amène la civilisation au point mort.
Le premier objectif de progrès social est donc, après l'établissement d'un gouvernement mondial, la régénération de la communauté locale. Dans cette communauté, en effet, se produisent les relations essentielles des hommes entre eux. C'est dans son ambiance que s'élabore la qualité de la vie humaine. Là s'exerce, sur l'âme malléable et sans préjugé de l'enfant, l'éducation qui déterminera les mobiles et les réactions de l'adulte. Là commence ce cycle d'influence sociale qui aboutit à la guerre ou à la paix.
La communauté locale est actuellement une cellule malade dans un corps en désordre. Pour l'amener à l'état de cellule saine dans un organisme sain, il faut étendre le lien social du champ politique au domaine économique. Dans un sain organisme social, l'individu n'a pas droit seulement au vote et à la protection des lois, il a aussi droit à l'existence, et cela en vertu d'un droit fondamental et non point par l'effet d'une offensante charité. L'organisation politique actuelle est un crible par où passent et se perdent les plus nobles aspirations de l'homme, ses mobiles les plus hauts et ses qualités les plus précieuses. Rien ne peut racheter le vice fondamental du mode actuel de gouvernement des hommes, à savoir qu'il fut adopté à l'origine pour conduire la guerre plutôt que pour maintenir la paix.
Le nouveau statut humain d'ailleurs ne dépend pas du triomphe du socialisme, et moins encore de celui du communisme. Aucune de ces théories sociales ne correspond à l'essentielle réalité de l'homme. Elles constituent un effort d'organisation matérielle, mais non point d'unification des êtres. Elles négligent la nature intime de l'homme, pour ne s'occuper que du mécanisme social externe. Leur application intégrale pourrait produire une apparence d'ordre, mais ce serait aux dépens de l'esprit humain. Ce n'est qu'après avoir découvert les principes spirituels de l'association des hommes qu'il sera possible d'établir un ordre social correspondant à la réalité divine.
Gouvernement international et communauté locale régénérée sont, dans l'évolution du genre humain, des possibilités dont la réalisation dépend d'une nouvelle échelle des mobiles personnels et d'une conception sociale élargie. Il est donc, pour une économie mondiale, un troisième objectif, en étroite corrélation avec ceux qui viennent d'être indiqués. Et ce troisième objectif est l'éducation spirituelle de l'homme, la transformation de son idéalisme passif en un état positif où il travaillera activement, de concert avec ses semblables, à des fins communes, et ne restera plus socialement indifférent, attendant des événements ou de quelques banquiers, industriels et hommes d'Etat une amélioration de son sort.
Une civilisation équilibrée et durable ne saurait s'édifier sur le mobile de l'intérêt personnel. Autrement fort et vrai que ce mobile - en fait autrement humain - est ce besoin de s'exprimer et de s'accomplir originalement qu'on trouve dans les enfants et qui survit chez quelques artistes, quelques artisans et quelques personnes spirituellement conscientes, réfractaires à l'influence des forces extérieures prévalant dans leur entourage. Le défaut de l'intérêt personnel apparaît quand on imagine le résultat qu'il produirait, appliqué à la vie de famille. Chaque famille représente une économie coopérative s'efforçant à subsister dans une communauté soumise au régime de la concurrence. Or, la dissolution de la famille marque la fin d'une ère.
L'éducation, maintenant, limite son objet à assurer la survivance de l'individu dans une société fondée sur le principe de la compétition, et l'effet de cet étranglement moral et mental est de livrer l'essentiel de la personnalité humaine, c'est-à-dire la conception que l'homme a de ses fins et de ses mobiles d'action, à l'influence délétère d'une société déjà pervertie. En tant qu'expression de l'esprit d'une collectivité sociale, l'éducation peut et doit s'adresser aux valeurs qui sont à la base de l'individu.
Par malheur, l'éducation telle qu'elle est actuellement donnée néglige le côté spirituel pour des fins de parti. Seule l'éducation qui s'adresse à l'être tout entier pour le mettre en état de mener une vie utile dans une société où l'union règne, seule une telle éducation puise à la source de l'amour universel ses lois et ses principes. Consciente des modes de l'évolution sociale, elle soumet les moyens de vivre aux vraies fins de la vie. Une seule génération qui serait soustraite par l'éducation spirituelle à l'influence des mauvais bergers qui systématisent les préjugés nationaux et religieux, et de classe, et de race, suffirait à établir définitivement l'humanité dans une ère nouvelle d'unité et de coopération.
Ces trois objectifs - gouvernement mondial, communautés régénérées, éducation spirituelle - sont d'ailleurs étroitement liés. Aucun ne saurait exister sans les deux autres, et tous trois sont à l'état latent dans la société actuelle. Ils s'y manifestent dans la mesure où, dans chaque pays, les âmes les plus hautes reconnaissent en eux les plus grandes valeurs d'idéalisme et de force pratique qui soient au monde. Mais la force d'inertie de l'évolution passée pousse encore la race dans d'autres directions. Et à comparer le nombre de ceux qui se dévouent à promouvoir ces trois idéals avec le nombre de ceux qui soutiennent les intérêts engagés dans le système de compétition, on peut juger de la profondeur de la crise où nous sommes plongés.
Ce qui est à l'heure actuelle le plus nécessaire, c'est la conviction raisonnée que, quel que puisse être le prochain avenir, ou brillant ou sombre, la vérité reste du côté du mouvement qui pousse à la paix universelle, et que toute opposition à ce mouvement est négative et sera finalement brisée. Seule la foi consciente peut renverser, en faveur de l'évolution contre la révolution et de l'ordre contre le chaos, la balance qui penche actuellement dans le sens contraire.
6. PRINCIPES DE Bahá'u'lláhBahá'u'lláh est la source de cette foi consciente. Ses enseignements transforment tous les problèmes économiques et politiques en autant de questions d'amour et de vertu. Le résumé, qui suit, de ces enseignements en fera ressortir les vérités essentielles :
1° Il est dans l'évolution humaine un cycle organique correspondant à la durée d'une religion, qui est d'environ un millier d'années. Un cycle social commence toutes les fois qu'apparaît un prophète dont l'influence et les enseignements renouvellent la vie intérieure de l'homme et font déferler à travers le monde une vague nouvelle de progrès. Chaque nouveau cycle détruit les croyances et les institutions usées du cycle précédent et fonde sur d'autres croyances, en étroite conformité, celles-là, avec les besoins actuels de l'humanité, une civilisation nouvelle. Mais à mesure que le temps passe, les doctrines humaines se substituant à la réalité enseignée par le prophète, cette civilisation tombe en décadence et doit finalement céder la place à une nouvelle conception de Dieu.
2° L'influence de chaque fondateur de religion s'est, dans le passé, limitée à une race ou à une région, en raison de l'isolement géographique des régions et des races. Mais l'influence du présent cycle s'étend au monde entier. Il manifeste l'unité spirituelle du genre humain, et la création d'un ordre organique du monde sera son ouvrage. Mais si Bahá'u'lláh apporte la preuve spirituelle de la venue d'un cycle universel, l'essor pris par la science en fournit la preuve intellectuelle. Le grand prophète a opéré, entre l'âge de concurrence et l'âge de coopération, une scission définitive, et la science a, de son côté, tiré l'homme de l'impuissance où il se trouvait à l'égard de la nature physique. Elle a, de plus, porté à un degré jusque-là inconnu sa responsabilité morale. Car si le vieil esprit de tribu persiste, la science détruira le monde, ses forces ne pouvant être contrôlées que par une humanité unie, travaillant pour la prospérité et le bien communs.
3° Les églises sectaires seront abandonnées et remplacées dans chaque communauté par un centre spirituel consacré à la méditation et à la prière, sans aucun clergé professionnel. Toutes les idées et pratiques religieuses en contradiction avec la science ne sont que des superstitions appelées à disparaître. Une religion ne s'établit pas sur les rites et les croyances, mais sur les sentiments qu'inspirent et la vie du prophète qui la fonde, et l'enseignement de celui-ci. A mesure que la science progressera, les hommes reconnaîtront que le sort de l'humanité a toujours dépendu de la vision d'amour et de fraternité apportée d'âge en âge par les prophètes, et que leur mission à eux, simples mortels, consiste à essayer d'inspirer un désir toujours accru de vie plus haute par la connaissance consciente de la volonté divine. Le foyer de l'évolution humaine est le prophète.
4° De même que la communauté locale dépend de la communauté nationale, la nation, elle, dépend de la communauté des peuples. La théorie de la souveraineté ne tient plus devant le fait de l'interdépendance économique des nations. Cette théorie doit donc être rejetée en politique. Les hommes d'Etat sont responsables devant Dieu de la protection du peuple. Ils doivent prendre les mesures nécessaires pour créer un corps politique international, car ce n'est qu'à un tel corps qu'une entière souveraineté peut être conférée. Métaux et produits se distribuent d'eux-mêmes à travers le monde en dehors du contrôle de toute nation, mais plus essentiel est le fait que l'humanité ne constitue qu'un organisme et qu'elle doit avoir sa loi et son pouvoir exécutif.
5° La loi de la lutte pour la vie n'existe plus pour l'homme dès qu'il devient conscient de ses pouvoirs spirituels et mentaux. Elle est alors remplacée par la loi plus haute de la coopération.
Sous cette loi, l'individu jouira d'un statut beaucoup plus large que celui qui est accordé au citoyen passif du corps politique actuel. L'éducation pour tous et, pour chacun, des moyens d'existence seront au nombre de ses droits. Les communautés locales seront organisées de sorte à donner effet à ce statut. L'administration publique passera des mains des partisans politiques qui trahissent la cause du peuple aux mains d'hommes capables de considérer une charge publique comme une mission sacrée, où ils se doivent employer à servir les principes divins de justice et de fraternité. Les impôts dans ce gouvernement international seront payés par les communautés locales plutôt que par l'Etat national, auquel, en revanche, il incombera de doter ces communautés des organismes nécessaires au bien commun et à la protection du peuple. Le trésor national recevra donc l'impôt des communautés locales, au lieu de le recevoir des individus. Une importance primordiale est donnée à la communauté locale, parce que c'est dans cette communauté que se posent d'abord les problèmes de la vie et qu'on en doit d'abord trouver la solution.
L'Etat national a développé pendant l'ère belliciste des organismes qui deviendront inutiles avec un Etat international. Celui-ci établira un statut assurant au monde ordre et progrès.
6° La stabilité économique ne dépend pas de l'application de tel plan socialiste ou communiste soigneusement élaboré, mais du sentiment de la solidarité morale qui unit tous les êtres et de cette conception que la richesse n'est pas la fin de la vie, mais seulement un moyen de vivre.
L'important n'est pas une aveugle soumission générale à tel système officiel, laquelle aurait pour effet de supprimer chez l'individu tout sentiment de responsabilité morale, mais un esprit d'entraide et de coopération. Sous un régime inspiré de cet esprit, l'actuelle tragédie du chômage pourrait devenir l'occasion d'un loisir précieux pour la culture et le développement de l'individu. Les employés et ouvriers ne recevraient pas seulement un salaire, mais ils auraient encore une juste part aux profits, tout comme des associés. L'industrie, d'autre part, reposant sur l'agriculture, ceux qui vivent sur la terre et l'exploitent devraient être l'objet d'une particulière sollicitude. L'industrie, d'ailleurs, se simplifiera quand l'homme aura atteint un point d'équilibre entre son être pensant et son être agissant.
Bahá'u'lláh apporte encore un système d'héritage grâce auquel la transmission des grandes fortunes profite à la communauté, sans que pourtant l'individu soit privé de toute liberté
de tester. Par ce système, les éducateurs qui ont contribué à former le caractère du défunt et aidé à son développement reçoivent, comme ses héritiers naturels, une part de l'héritage.
Un autre principe sur lequel insiste Bahá'u'lláh est que le loyalisme envers le gouvernement civil forme part intégrante d'une attitude religieuse envers la société. Rien, selon lui, ne justifie cette vue, que la fidélité aux doctrines ecclésiastiques doit prévaloir sur le loyalisme envers les pouvoirs publics. La foi en Dieu échappe au contrôle de l'Etat, celui-ci ne peut exiger de l'individu qu'il trahisse ses convictions spirituelles, mais tout ce qui est matière de politique publique doit rester sous le contrôle du gouvernement civil.
7° Ni le principe démocratique, ni le principe aristocratique ne peuvent fournir séparément à la société une base solide. La démocratie est impuissante contre les querelles intestines, et l'aristocratie ne subsiste que par la guerre. Une combinaison des deux principes est donc nécessaire. L'administration des affaires doit être confiée à une élite désignée par le suffrage universel et que contrôle une constitution internationale, fondée sur des principes conformes à la vérité morale.
8° Pour donner à l'humanité une base spirituelle, il faut répandre universellement une éducation qui combine dans chaque individu le développement des valeurs économiques avec celui des valeurs intellectuelles, qui coordonne la culture du coeur et celle de l'esprit et qui stimule les puissances de l'âme par l'enseignement des principes de la vraie religion : "La source de toute
connaissance, ainsi que dit Bahá'u'lláh, est la connaissance de Dieu."
Un principe social d'importance fondamentale est, selon Bahá'u'lláh, la loi de consultation. La solution de tous les problèmes, déclarait-il, dépend de la délibération sincère de toutes les parties intéressées et de leur bon vouloir à s'en remettre aux décisions qui résultent de cette délibération. "De la discussion jaillit la lumière", répétait 'Abdu'l-Bahá. La vérité est aujourd'hui, dans toutes les situations, obscurcie par l'intérêt et les préjugés. Il faut, pour la dégager, le concours de toutes les parties. Mais le nouvel organisme social ne saurait être décrit dans le détail. Ce détail résultera naturellement de l'évolution dudit organisme.
9° En cette période de transition entre le vieil âge de concurrence et l'ère nouvelle de coopération, la vie même de l'humanité est en péril. Nous sommes à un stade capital de l'histoire de l'humanité, à un tournant de l'évolution du genre humain. L'ignorance spirituelle, les ambitions nationalistes, la lutte des classes, la peur et les convoitises économiques sont autant de forces mauvaises qui poussent à une autre guerre internationale. Un envoyé divin, seulement, une puissance providentielle, une influence comme celle du Christ peut détourner la suprême catastrophe. Le monde a un terrible besoin de prendre conscience des liens d'étroite affinité qui relient tous les êtres, de la solidarité qui les unit et de la nécessité, par conséquent, de principes communs et d'un programme combinant avec l'idéal religieux les aspirations et les objectifs de la science sociale.
Les amères expériences de ces dernières vingt années projettent une édifiante lumière sur les exposés faits en séances publiques par 'Abdu'l-Bahá en Europe et en Amérique, au cours des années 1911 et 1912. Les citations qui suivent donneront une idée du caractère et de la portée des vues du fils de Bahá'u'lláh et montreront comment il en appelait à l'humanité, pour la réalisation de son plan, beaucoup plus qu'aux institutions.
7. LA RELIGION DE DIEU"Le corps politique a aujourd'hui besoin d'un médecin. Il est semblable à un corps humain qu'affligent de terribles maladies. Or, un docteur fait un diagnostic et prescrit un traitement, mais il ne prescrit celui-ci qu'après avoir fait celui-là. La maladie dont souffre le corps politique est le manque d'amour et l'absence d'altruisme. Il n'y a point d'amour vrai dans le coeur des hommes, et leur condition est telle que, si quelque puissance ne vient réveiller leur faculté d'aimer, il n'y a point pour eux de salut. Amour et unité, voilà ce qui manque au corps politique actuel. Or, sans unité et sans amour, point de progrès ni de prospérité possibles. Il faut donc que les amis de Dieu s'attachent à la seule puissance capable de mettre aux coeurs des hommes cet amour et cette unité. Ce n'est point la science qui les y peut créer. Elle est donc impuissante à guérir la maladie du corps politique. Et ni le patriotisme ni l'attachement à la race ne peuvent davantage apporter le remède. Celui-ci ne se trouve que dans les dons spirituels précisément descendus aujourd'hui du Ciel pour le constituer. Mais il est là, tout préparé, prêt à répondre aux besoins de notre temps, car les enseignements de la religion de Dieu créeront dans le coeur des hommes l'unité, l'entente et l'amour."
(8 juin 1912, au 300 delà 78° rue Ouest de la ville de New-York.)
8. LE CORPS POLITIQUE"Bien que le corps politique tout entier ne constitue qu'une seule famille, par suite d'un manque d'harmonie dans les relations de ses membres, quelques-uns de ceux-ci sont dans l'aisance alors que d'autres sont dans la misère, certains sont repus et certains autres affamés, et tandis que les uns portent de somptueux vêtements, plusieurs restent sans abri ni nourriture. Pour quoi? Par manque de réciprocité et de symétrie. La maison est mal aménagée. La loi n'est pas parfaite qui préside au fonctionnement de son économie. Aussi bien les lois humaines n'assurent point le bonheur ni ne procurent l'aisance. La famille de l'humanité a donc besoin d'une loi qui donne à tous ses êtres aisance et bonheur."
(Septembre 1912, au meeting socialiste de Montréal.)
9. SOCIALISME ET COMMUNISME"La question de socialisation est d'une grande importance. Mais ce ne sont point les grèves qui en apporteront la solution. Tous les gouvernements du monde doivent s'unir et organiser une assemblée dont les membres soient élus parmi l'élite des nations. Ceux-ci devront, de tous leurs soins et de toute leur sagesse, pourvoir à ce que les capitalistes ne souffrent point de pertes économiques et à ce que les travailleurs ne tombent pas dans le besoin. Une fois la loi établie avec le plus grand discernement, on annoncera au public que les droits des ouvriers seront fortement protégés, mais que les droits aussi des capitalistes seront sauvegardés. Ces conditions étant librement acceptées de part et d'autre, au cas où une grève se produirait, tous les gouvernements de la collectivité mondiale s'y devraient opposer. Sans une telle organisation, le problème du travail, en Europe notamment, conduira aux pires catastrophes.
Les propriétaires de mines et d'usines devront partager leurs revenus avec leurs ouvriers, leur donner une juste portion des produits de l'entreprise, afin que, recevant, outre leur salaire, une part des profits, ils mettent à l'ouvrage tout leur coeur."
(Discours prononcé en 1912 et reproduit dans l'Etoile de l'Ouest, Publication Bahá'ie, volume XIII, page 231)
Lycurgue, roi de Sparte, qui vécut bien longtemps avant la venue du Christ, conçut l'idée d'un gouvernement absolument égalitaire. Il proclama des lois qui divisaient le peuple de Sparte en certaines catégories, puis, ayant convoqué neuf mille notables, il leur dit que, partant pour un long voyage, il désirait que la forme du gouvernement qu'il avait adoptée durât jusqu'à son retour. Tous jurèrent de n'y rien changer. Et Lycurgue partit en exil volontaire pour ne plus revenir. Qui d'autre, pour établir l'égalité entre ses semblables, consentit jamais un pareil sacrifice? Mais au bout de quelques années, tout ce système de gouvernement, bien qu'établi sur une aussi solide et juste base, avait croulé de fond en comble.
"II existe entre les hommes une inégalité fondamentale. Tous ne peuvent avoir les mêmes facultés et tous ne peuvent être sages. Bahá'u'lláh a apporté des principes et des lois qui ajustent entre elles ces inégalités fatales."
(Juillet 1912, au 309 de la 78° rue Ouest de la ville de New-York.)
10. CIVILISATION MATÉRIELLE ET CIVILISATION SPIRITUELLE
"La civilisation matérielle a atteint en Occident le plus haut degré de son développement, mais c'est en Orient que prit naissance la civilisation divine. L'Orient doit prendre à l'Occident sa civilisation matérielle, et l'Occident emprunter à l'Orient sa civilisation spirituelle. Un lien s'établira ainsi entre eux. Et lorsqu'ils seront unis, ce sera pour l'humanité un jour radieux, car un immense progrès aura été accompli. (2 juin 1012, à l'Eglise de l'Ascension, à New-York.)
Ces questions sollicitent aujourd'hui les esprits par milliers, mais nous avons un objet plus essentiel. Toute l'économie du monde repose sur des bases divines, et les choses de la matière sont en étroite relation avec les choses de l'esprit et du coeur. Cela est pleinement expliqué dans l'enseignement de Bahá'u'lláh, hors des principes duquel aucun progrès économique ne saurait être accompli... Les questions économiques sont pleines d'intérêt, mais la force qui met les coeurs en mouvement, qui les dirige et les attire les uns vers les autres n'est autre que l'amour de Dieu.
(23 juillet 1912, à l'Hôtel Victoria de Boston.)"La paix universelle est à présent une question de très grande importance, mais pour qu'elle ait une base sûre et se puisse édifier solidement, l'unité de conscience est nécessaire. La Ligue des Nations se trouve incapable de l'établir. Mais le Tribunal Suprême décrit par Sa Sainteté Bahá'u'lláh remplira cette tâche sacrée. Voici le plan de ce tribunal : L'Assemblée nationale de chaque pays élit deux ou trois personnes prises dans son élite, parfaitement instruites dans le droit international, bien au fait des relations entre gouvernements et conscientes des besoins présents de l'humanité. Le nombre de ces représentants est proportionnel au nombre des habitants du pays. Leur élection par l'assemblée nationale est confirmée par la Chambre Haute, le cabinet des ministres et aussi, suivant le cas, par le président ou le monarque, afin qu'ils soient les élus de tout le pays et du gouvernement. C'est parmi ces délégués que sont choisis les membres du Tribunal Suprême, en sorte que, dans ce tribunal, l'humanité tout entière se trouve représentée. Dans ces conditions, lorsque le Tribunal Suprême aura statué sur une question internationale, soit à l'unanimité soit à la majorité des voix, ni demandeur ni défendeur n'auront rien à objecter. En cas de négligence ou de manoeuvres dilatoires de la part d'un gouvernement invité à exécuter l'irrévocable décision du Tribunal Suprême, tous les autres gouvernements se soulèveront contre lui, puisque la décision du Tribunal Suprême sera leur propre décision. On voit quelle base solide - qu'on ne saurait attendre d'une Ligue limitée et restreinte - une telle organisation offrirait à la paix universelle!" (17 décembre 1919, extrait d'une lettre à l'Organisation centrale formée en vue d'établir une paix durable.)
12. UNITÉ DE LA RÉALITE DIVINE"Quand l'essentielle Réalité, divine et fondamentale, pénètre dans le coeur et dans la vie des hommes, elle établit entre eux cette unité que peut seulement produire l'action de l'Esprit Saint.
Car le Saint Esprit agit dans la société à la façon dont la vie se comporte dans le corps humain, fondant en un harmonieux accord l'infinie diversité des membres et des organes qui le constituent. L'esprit de vie qui les anime les unit en même temps dans une combinaison intime. Il établit entre eux une solidarité si parfaite, que tous répondent sympathiquement au choc ou à la maladie qui vient frapper le moindre d'entre eux. De même que l'esprit de vie assure cette coordination des diverses parties de l'organisme humain, de même l'Esprit Saint assure l'unité de l'espèce humaine. Car le monde des hommes est aussi un corps fait d'éléments composites, et l'Esprit Saint est le principe de la vie qui l'anime.
C'est de l'unifiante et vivifiante présence de l'Esprit Saint que le monde a surtout besoin. Jusqu'à ce que cet Esprit pénètre et interpénètre les âmes et les coeurs et que, par lui, une foi raisonnée s'implante dans les cerveaux, la sécurité et la confiance feront défaut au corps social. Bien plus, les luttes et les dissensions s'accroîtront de jour en jour, et les différences et divergences entre nations s'accuseront davantage. De continuelles additions seront faites aux armements de tous les pays et la crainte, la certitude d'une autre guerre mondiale, celle-là sans précédent, angoissera de plus en plus les esprits. (16 septembre 1012, au 5338 de l'avenue Kenmore, à Chicago.)
Le premier principe de la philosophie divine est l'unité du monde, l'unité du genre humain, le lien d'amour qui unit l'Orient à l'Occident, et fond ensemble les coeurs des hommes... Depuis mille ans, le sang coule. C'en est assez, c'en est trop. Le temps est venu de s'associer dans l'amour et l'harmonie...
Tous les messagers divins ont proclamé l'unité de Dieu et l'unité du genre humain. Ils ont enseigné que, pour progresser , les hommes doivent s'aimer et s'entraider. Si cette conception religieuse est vraie, l'unité du genre humain et la paix entre les hommes sont à la base de toute justice et de toute religion. Dieu veut que les hommes vivent dans l'unité, la concorde et l'entente, et qu'ils s'aiment les uns les autres. L'unité du genre humain est le premier fondement de toutes les vertus."
(12 avril 1912, à l'Université Columbia de New-York.)
13. LES PROPHÈTES DIVINS"Les Prophètes divins sont les premiers éducateurs de la race humaine. Éducateurs universels, les principes fondamentaux qu'ils posent sont la cause et le facteur du progrès des nations. Les imitations de pure forme qui sont ensuite faites de leur oeuvre ne conduisent pas au progrès. Elles sapent, au contraire, les fondations établies par ces divins éducateurs.
II faut donc revenir aux principes fondamentaux des prophètes, dont les imitations purement formelles qui en furent faites après eux diffèrent largement. Dépouillant ces principes de tout ce que les interprétations humaines y avaient ajouté, Sa Sainteté Bahá'u'lláh les a rétablis dans leur quintessence."
(3 mai 1912, à l'Hôtel Plaza, à Chicago.)"Etant l'expression de la réalité divine, la religion doit être vivante, et toujours en mouvement progressif. Sans mouvement et sans progrès, elle est privée de la vie divine, c'est une chose morte. Les institutions divines sont toujours actives et en voie de progrès. La révélation qui en est faite doit, par suite, être elle-même continue et progressive."
(24 mai 1912, à la Conférence Unitaire de Boston.)
Les divins Messagers, depuis le jour d'Adam, se sont efforcés d'unir entre eux les membres de l'humanité de telle sorte qu'ils ne fassent qu'une seule âme et qu'un seul corps. La fonction du berger n'est point de disperser son troupeau, mais de le rassembler. Les Prophètes de Dieu furent les bergers divins de l'humanité. Ils ont établi entre les hommes un lien d'amour et d'unité, et rassemblé en un puissant royaume leurs tribus dispersées. Ils ont jeté les fondations de l'unité divine et rappelé tous les peuples à la Paix Universelle. Tous ces Prophètes n'en font qu'un. Ils ont tous servi le seul Dieu, promulgué la même vérité, fondé les mêmes institutions et réfléchi la même lumière. Venus successivement, ils sont étroitement reliés les uns aux autres. Chacun d'eux a annoncé et exalté celui qui le devait suivre, et tous ont établi les fondements de l'essentielle réalité. Ils ont convié les hommes à s'aimer les uns les autres et fait du monde humain un miroir du monde de Dieu. Les divines religions qu'ils ont établies n'ont donc qu'une seule base, leurs enseignements ne forment qu'un seul enseignement, et, bien que différents de nom, ils ne sont eux-mêmes qu'un seul prophète."
(28 mai 1912, au Temple Métropolitain de New-York.)
14. L'ESPRIT DIVIN DE NOTRE ÉPOQUE."Ce qui répondait aux besoins des hommes aux premiers temps de leur histoire ne saurait contenter les besoins de cet âge de renouveau et d'accomplissement... De tous les points de vue, le monde humain subit une transformation. Les lois des gouvernements et des civilisations sont en cours de révision, idées et théories scientifiques se développent et progressent... Mais en matière de religion, aussi, nous sommes entrés dans un cycle de maturité et de réforme. Les imitations dogmatiques des croyances ancestrales s'évanouissent. Elles furent les axes autour desquels les religions accomplirent leur révolution, mais elles sont désormais inutiles. Bien plus, elles sont devenues pour l'homme une cause de déchéance.
Des enseignements divins ont été donnés en cet âge de grâce, qui sont propres à faire avancer l'humanité. Ce renouvellement de la réalité fondamentale de la religion constitue le véritable esprit moderniste, la vraie lumière du monde, l'évidente émanation du Verbe de Dieu, le divin remède à toutes les maladies humaines, et il rend manifeste la bonté de la vie éternelle à l'égard de l'humanité.
"Sa Sainteté Bahá'u'lláh, tel un soleil de vérité, s'est levé à l'horizon de l'Orient, baignant le monde entier d'une lumière qui ne s'éteindra jamais. Ses enseignements qu'inspire l'esprit divin de notre époque se peuvent ainsi résumer : unité du genre humain; protection et direction du Saint Esprit; unité de la base de la religion; la religion cause de l'unité; la religion en accord avec la science et la raison; recherche impartiale de la vérité; égalité de l'homme et de la femme; abandon des préjugés; paix universelle; éducation universelle; langage universel; solution du problème économique; création d'un tribunal international.
Quiconque cherche sincèrement et pense justement admettra que les enseignements donnés par les autorités humaines sont la cause du désaccord entre les hommes et détruisent ainsi l'humanité, au lieu que les enseignements de Bahá'u'lláh apportent un remède à chacun des maux de l'humanité, et au corps social tout entier la guérison.
"En eux se trouvent la réalisation de tous les désirs et de toutes les aspirations, la source du bonheur, l'illumination de l'intelligence, l'incitation au progrès, la base de l'unité du monde, une fontaine jaillissante d'amour mutuel, un foyer d'entente universelle, le seul lien, enfin, qui unira l'Orient et l'Occident."
(17 novembre 1912, au Hall Généalogique de New-York.)
15. UN INCOMMENSURABLE PROGRES"Le présent cycle connaîtra une évolution de la civilisation sans précédent dans l'histoire du monde. L'humanité était jusqu'ici restée dans le stade"de l'enfance; elle approche de l'enfance maintenant de la maturité. De même que l'organisme humain atteint à sa période de maturité, sa pleine force physique et l'entier développement de ses facultés intellectuelles, le monde, en ce cycle d'achèvement, accomplira un incommensurable progrès."
(21 avril 1912, au 1219 de l'avenue Gonnecticut à Washington.)
"Une loi qui régit toutes les manifestations de la vie veut qu'après avoir atteint son sommet et son point d'achèvement, toute chose soit suivie de conditions nouvelles. La science de la guerre étant maintenant parvenue à son apogée, on peut espérer que, dans les siècles à venir, toutes les énergies et tout le génie inventif de l'homme seront employés à des fins pacifiques et fraternelles.
"Les puissances de la terre ne peuvent repousser les dons que le ciel destine à cet âge glorieux. La paix est un besoin. une exigence de notre époque. L'homme peut s'opposer à tout, hors à ce que Dieu entend donner à son époque pour satisfaire les besoins de celle-ci. Or, grâce à Dieu, dans tous les pays, se trouvent actuellement des amis de la paix, et, par eux, les principes de paix se répandent dans le monde. Grâce à Dieu l'idée de concorde tend maintenant à prévaloir, et des défenseurs de l'unité du genre humain partout et constamment se lèvent, qui s'efforcent de répandre, de soutenir et d'établir l'idée de paix universelle."
(A une réunion de la Société pour la Paix de New York, tenue le 13 mai 1912 à l'Hôtel Astorg.)
Quoique ces citations ne représentent que quelques fragments du texte des enseignements de Bahá'u'lláh promulgués par 'Abdu'l-Bahá, on y trouve les grandes lignes d'une philosophie religieuse qui pénètre au coeur de l'histoire et explique les étranges désordres dont souffre le monde moderne. En Bahá'u'lláh s'est levé, sur les ténèbres du monde, un soleil spirituel dont la lumière fait discerner le vrai du faux, et ce Prophète a déclenché entre les forces matérielles et celles de la Réalité spirituelle une lutte définitive. Il a partout suscité à la cause de l'humanité des défenseurs assez dévoués et éclairés pour pouvoir soutenir le fardeau de l'administration du monde et développer chez leurs frères les pouvoirs qui y sont encore à l'état latent, II renforce les espérances de paix universelle et les désirs de justice sociale, en montrant que la justice et la paix sont dans l'ordre de l'évolution humaine. Dans l'enseignement de Bahá'u'lláh, enfin, se trouve le principe d'un organisme international adapté aux besoins présents de l'humanité. Cet enseignement universalise, en les perfectionnant, tous les enseignements des prophètes du passé.